Le pré

Hommages à Laurence Boissier

Le Pré

art&fiction souhaite rendre hommage à la voix, la plume et la présence de Laurence Boissier en offrant à lire le texte qui clôt son Inventaire des lieux (2015). Avec une infinie gratitude pour la floraison des mots, la traversée des Alpes et la si fertile collaboration que notre métier d’éditeur nous a permis de vivre avec Laurence.

J’aimerais te montrer ce pré. Il y a quelques jours, il n’était rien. J’ai pensé plusieurs fois, en me promenant là, que quelque chose avait changé dans le cycle des saisons et que l’éclosion de ce champ avait été remise à plus tard ou à jamais. Trois jours après, les fleurs sont sorties et j’ai marché dans ce printemps. Pour toi, je recherche les noms des fleurs. Il y a là des bugles, de la véronique cresson de cheval, de la sauge des prés, des centaurées, des miroirs de Vénus, des corydalis, des nielles, des mélampyres, des boutons d’or et des pâquerettes. Tu te les représentes? Quand je marche dans ce pré, il me semble que les fleurs ont été déposées ce matin sur leur tige. Les minuscules taches de couleur sont disposées avec une telle justesse sur leur fond vert que je ne peux pas m’empêcher d’attribuer à la nature des pouvoirs extraordinaires. Le temps d’une traversée de ce pré, j’ai la conviction que toi et moi, nous avons été disposés, toi où tu es toi et moi où je suis moi, selon les mêmes calculs impénétrables.


«Merci, ça me fait plaisir – beaucoup de personnes m’ont dit qu’elle n’y avaient rien compris!»

Chloé Falcy

C’est par ces mots que Laurence a répondu à mes compliments sur son magnifique texte, «Biotope», à la suite d’une lecture, par elle et d’autres autrices, du recueil Tu es la sœur que je choisis. Bien sûr, ce n’était pas vrai – son texte était touchant, piquant et tendre, à son image, me semblait-il. Nous avons ri, et c’en est malheureusement resté là de nos échanges de vive voix. Mais moi, je n’en avais pas fini avec elle, car son écriture m’avait tellement plu que j’ai dévoré un par un, avec méticulosité, presque tous ses livres.

Pour moi, Laurence s’est donc avant tout incarnée par ses livres – et quelle présence! Elle avait une plume élégante et acérée, qui maniait la dérision et promenait ses lectrices et lecteurs du rire aux larmes, comme moi les matins dans le bus qui m’amène au travail.

Laurence, pour moi, ce sont des images vives comme peu de livres savent en faire, qui me restent et dont nous plaisantons encore avec l’une de mes collègues et mon compagnon, qui ont tous deux adoré ses livres. C’est une éponge qui ne pense et ne fait rien au fond de la mer, et qui est très bien comme ça, une goutte d’eau échappée du Saint-Gothard, terrifiée de se retrouver piégée dans la fosse des Mariannes (Safari). Le fossile d’un(e) amphibien(ne) nommé(e) Drops au creux d’une roche de montagne (Histoire d’un soulèvement).

C’est sa manière unique de parler de deuil et de mort dans Rentrée des classes. C’est la peluche d’Eyeore de Mathilde qui attend, flanc dans la poussière d’une chute d’immeuble, que sa petite propriétaire vienne le chercher. Inerte, mais pas complètement dépourvue de vie car, quand elle l’a fait pour sa petite fille, la grand-maman de la petite fille y a cousu beaucoup d’amour.

C’est le chat Mississipi Steamboat, affublé ainsi parce qu’il semblait aimer les s, qui ne comprend pas pourquoi ses humains sont si tristes et qui tente de défaire les nœuds de tristesse en se serrant contre leurs poitrines.

Aujourd’hui, Laurence, c’est aussi et surtout cette phrase imaginaire que le père de Mathilde souffle dans le vent à sa fille sur le pont du Mont-Blanc: «je suis parti pour toujours et je serai toujours là».


Une voix s’éteint, une mélodie résonne

Philippe Fretz

Rares sont les écritures qui sont à ce point liée à la voix de leur auteur. L’écriture de Laurence résonne dans l’espace silencieux de notre lecture, mélodique, mélancolique et drôle, comme sa voix qui nous illumine.

Son récit aussi est singulier et touchant, auto-fictif, exo-fictif, qu’importe. À la fois factuel et ornemental. Il met l’auteure en jeu et le lecteur en je. Il nous atteint par l’autodérision, l’intelligence du rire. Il nous raconte la fragilité des corps engagés dans le ballet des regards. Nous apparaissons nus, si nous avons la générosité et le courage d’être vrai.

Je ne sais pas comment l’écriture de Laurence résonne pour qui ne l’a jamais entendu lire et je suis désolé pour ceux qui n’ont pas eu ce plaisir, cette délectation. Je suis sûr que la mélodie du verbe restitue en partie le phrasé de la voix.

C’est beau d’être le témoin d’une écriture qui se lève, d’une voix qui se met en route. L’art se construit le long de nos vies, de nos modes de vie. Il se fraie un chemin à travers les diversions et les obligations, les étreintes et les contraintes, « histoire d’un soulèvement ». C’est beau de voir comme un texte nouveau enveloppe d’une lumière nouvelle un texte ancien et comme il le transforme en le faisant appartenir à une famille élargie.

C’est beau aussi de voir une personne qui vient à votre rencontre et qui vous offre le sourire d’une étape passée, d’un acte posé et d’un nouveau projet en route.

Cette fraternité va me manquer, ce sourire et ces rencontres vont me manquer, même si nous goûteront encore de sa personne à chaque fois que nous ouvrirons un de ses livres et que résonnera en nous, tristes lecteurs, l’écriture et la voix de Laurence Boissier.


Comment s’incarner ici, sur terre, dans cette vie?

Patrick Morier-Genoud

«Nous ne sommes personne. Nous sommes l’œuf du possible. (…) Nous rejoindrons le règne animal. Nous serons un individu pour le temps de son voyage sur terre. Il faut voir. Nous sommes l’œuf du possible.» Laurence Boissier est morte le 7 janvier de cette année, à 57 ans. En novembre 2021, elle était venue à Annemasse, pour un débat et une lecture dans le cadre de la remise du prix Lettres frontière. «J’ai un cancer», avait-elle confié calmement avant le débat avec d’autres écrivains. Elle venait parler d’Histoire d’un soulèvement, son dernier livre. L’histoire d’une femme, une citadine pas entrainée physiquement, qui part pour une randonnée de groupe dans les Alpes. Neuf jours de marche, de promiscuité avec des inconnus. De réflexion, aussi, ce d’autant que leur guide est féru de géologie et leur explique la formation de ces montagnes. Avec cette grande question en toile de fond: comment s’incarner ici, sur terre, dans cette vie, cet univers?
Le temps avait manqué pour que Laurence Boissier réponde en détail à cette question à Annemasse. Et peut-être n’avait-elle pas envie de le faire, s’apprêtant déjà pour autre chose. Il reste son livre. 


(…) six anges aux ailes lasses,
force dix et les bas fonds
survolés vent debout, tempête sur la mer
dans la nuit je vois les lumières d’en face
je regarde les anges qui semblent me connaître (…)
le dieu ressemble au capitaine du ferry,
les lapins que je voyais courir dans l’ombre avaient peur du chasseur, le phare
et sa lumière tombaient à travers la chambre,
mais à part ça tout allait bien. (Cees Nooteboom)

Très ébranlée par la nouvelle du décès de Laurence. Redoutée. Quelques lignes d’un courriel, reçu vers la fin de l’été, avec le mot foie dedans… Après Histoire d’un soulèvement, je tenais tellement à la rencontrer, et c’était arrivé, le 30 avril dernier, au parc de Valency. Un jour où elle avait rendez-vous avec art&fiction d’ailleurs. Il pleuvait très fort. Se sont avancées une paire de jambes en velours orange, une élégance, une douceur. Puis un rire quand elle est venue jusque chez moi, en bas du parc. Reconnu la petite boîte rouge. Car peu de temps avant, par la poste, elle m’avait envoyé une boîte d’allumettes entièrement peinte en rouge, avec une feuille séchée en forme de cœur collée dessus, et dedans un long cordonnet rouge avec de minuscules drapeaux jaunes, verts, rouges, jaunes – pour toutes les langues (…), disait un étroit billet de papier plié en trois. Comme les guirlandes d’ampoules multicolores sur les plages de Fellini.

Révérence matinale

Corinne Desarzens


Décès de Laurence Boissier : communiqué
de la Présidente de Lettres frontière

Marie-Claude Troehler, Présidente

C’est une toute grande dame, au propre comme au figuré, des Lettres romandes, qui s’est éteinte la semaine dernière.

En effet, Laurence Boissier nous a quittés et on peine à imaginer qu’elle ne sera plus parmi nous avec son regard caustique sur le monde, sa plume tantôt drôle, tantôt acérée, toujours juste dans le ton et l’expression.

Pour Lettres frontière, elle a assuré jusqu’au bout, malgré sa maladie. Elle a participé à un entretien avec Charlotte Lang lors du Salon « en ville » de Genève en octobre 2021 et, surtout, fut très présente lors de L’Usage des mots le 6 novembre à Château Rouge, à Annemasse.

Son ouvrage Histoire d’un soulèvement figure dans notre 28e Sélection du Prix Lettres frontière 2021, et beaucoup de lecteurs et de lectrices vont la regretter, tant l’envie de la rencontrer au gré de ses visites en bibliothèques était grande.

Nous présentons à sa famille et à ses proches nos sincères condoléances.


Laurence Boissier s’est tue

Anne Pitteloud, le Courrier

C’est une voix unique des lettres suisses qui s’est éteinte vendredi. Nous ignorions sa maladie, la nouvelle de son décès a été un choc. Née à Genève en 1965, Prix suisse de littérature 2017 pour Inventaire des lieux (Ed. art&fiction), Laurence Boissier excellait dans la forme brève et l’art du décalage, ses textes sapant l’air de rien le conformisme sous toutes ses formes avec un art consommé de l’absurde.

Après avoir étudié l’architecture d’intérieur à l’Ecole des arts décoratifs de Genève, elle avait été déléguée du CICR puis avait travaillé durant une dizaine d’années comme ingénieure en physique du bâtiment pour le canton de Genève. Avec un sentiment persistant d’inadéquation au monde, confiait-elle dans nos colonnes après avoir reçu avec étonnement le prix fédéral (Le Courrier du 17 février 2017). A l’orée de la quarantaine, cette mère de deux jeunes enfants avait ainsi tout lâché pour s’inscrire aux Beaux-Arts.

Elle terminait la HEAD en 2009 et rejoignait dès 2011 le collectif d’auteur·trices et de musicien·nes romand·es et alémaniques Bern ist überall. On la découvre alors sur scène, silhouette élancée à l’élégance discrète qui dynamite les ­attentes de sa voix douce, lisant d’un air pince-sans-rire des textes lapidaires et hilarants qui pointent avec un sens aigu de l’autodérision les mille travers du quotidien contemporain.

Elle signe également plusieurs recueils de textes – Projet de salon pour Madame B. (art&fiction, 2010), Noces (Ripopée, 2010), Cahier des charges (D’autre part, 2011) et Inventaire des lieux ( 2015) – avant de publier un premier roman, Rentrée des classes (art&fiction, 2017), lauréat du Prix des lecteurs de la Ville de Lausanne et du Prix Pittard de l’Andelyn 2018. Ont suivi, chez le même éditeur, Safari (2019) et Histoire d’un soulèvement (2020).

Laurence Boissier avait contribué au recueil de nouvelles Tu es la sœur que je choisis, coédité par les Editions d’En Bas et Le Courrier. Il y a pile six ans, notre rubrique Inédits publiait «Le maillot de bain orange», où l’on retrouvait avec bonheur son écriture concise aux lisières du non sens. On ne l’entendra plus sur scène. Reste sa prose singulière, exploration pudique des failles dynamitée par l’humour. Mais Laurence Boissier va nous manquer.


L’autrice romande Laurence Boissier est décédée à l’âge de 56 ans

RTS Culture

Lauréate du prix suisse de littérature 2017 pour Inventaire des lieux, l’autrice genevoise Laurence Boissier est décédée le 7 janvier 2022 à l’âge de 56 ans, emportée par une maladie. Elle excellait dans l’art du décalage à travers des récits plein d’autodérision.

Née à Genève en 1965, Laurence Boissier est parvenue en une dizaine de livres, recueils de textes ou romans, à imposer son art du décalage et de l’autodérision. Comme dans son dernier ouvrage, Histoire d’un soulèvement, paru en 2020 chez art&fiction où elle s’égarait en montagne avec un groupe de randonneurs guidé par un passionné de géologie et de croûte terrestre.

Une histoire croustillante où elle croquait avec brio, en ironisant et méditant beaucoup, ce groupe dont les travers si helvétiques frisent le ridicule, malgré l’entraînement séculaire de notre culture des cimes.

Avant d’embrasser son parcours littéraire, Laurence Boissier a d’abord effectué des études d’architecture d’intérieur et a ensuite été déléguée pour le CICR avant de s’inscrire à la Haute Ecole d’art et de design (HEAD). Son premier texte, Projet de salon pour Madame B., est publié en 2010 chez Art&Fiction déjà, dont elle deviendra une des élégantes représentantes.


Laurence Boissier: hommage et héritage de lʹauteure genevoise

Une présence malicieuse, une écriture librement moqueuse: voilà ce qui caractérisait, entre autres, l’auteure genevoise Laurence Boissier, décédée en janvier dernier.
Le collectif “Bern ist überall” lui rend hommage à la Maison Rousseau et Littérature ce mercredi 1er juin.
Antoine Jaccoud et Sylviane Dupuis sont au micro de Charlotte Frossard.


So we never…

Christian Pellet


Chère Laurence,

J’étais affreusement jaloux de vous – tu vois je repasse au vous après nos atermoiements – de vos écrits si sérieusement drôles qui vous allaient si bien, de votre écriture alerte que j’avais encouragée alors que vous étiez étudiante à l’école des Beaux-Arts et que j’y enseignais.

Je n’étais pas jaloux de votre succès, je vous lisais avec tellement de plaisir mais depuis 2015 où nous partagions la même livraison Re:Pacific, art&fiction, chaque nouveau livre que vous sortiez me rappelait que je n’écrivais rien.

Nous avions pensé théâtre, échafaudé une mise en scène de textes croisés, je vous écrivais alors: «Je me cacherais derrière vous profitant de votre reconnaissance d’auteure. En même temps je ne vois pas comment ce pourrait-être l’inverse car même repliée vous dépasseriez à tout coup et je ne tiens pas bien longtemps sur les pointes.» Tu as continué à écrire et c’est tant mieux, couronnée de prix et c’est heureux, nous ne sommes pas montés sur scène ensemble et voilà que tu quittes le théâtre, à peine à l’entracte, quelle tristesse.

Alors Chère Laurence, je garde le souvenir de ton attitude de si grande fille, aussi grave parfois qu’espiègle toujours, de votre si grande franchise souvent désarmante et de ton autodérision, de votre amusement face aux expériences un rien new-âge de stages en tout genre pour trouver un sens à l’absurde de nos vies. Sens donné dans tes écrits acidulés, tes livres que nous allons relire.

Claude-Hubert Tatot


Laurence Boissier, l’élégance jusqu’au bout

Lisbeth Koutchoumoff Arman, le Temps

Laurence Boissier s’est éteinte à Genève le 8 janvier, à 57 ans, emportée par une maladie fulgurante. C’est un choc pour le monde du livre et pour ses lecteurs, qui la suivaient de livre en livre comme une amie avec laquelle on se réjouit de poursuivre la conversation. Ils sont si rares et si précieux, les écrivains qui font du rire une élégance. Laurence Boissier était de ceux-là. Elégance parce que l’humour, sous sa plume, était un levier poétique, un outil de connaissance et de fraternité. Une façon de communier dans le désastre, de se donner du courage, d’apprivoiser le chagrin.

Le pathos à distance

En une petite dizaine de livres, Laurence Boissier avait conquis de nombreux lecteurs, touchés par son art du clown très personnel, pince-sans-rire, féroce aussi et franchement cocasse. Qu’ils croquent nos comportements du quotidien ou nos croyances collectives, ses textes tenaient le pathos à distance. L’écriture comme un moyen de passer à gué les torrents de l’existence. Plusieurs prix littéraires, dont un Prix suisse de littérature, en 2017, ont contribué à la reconnaissance de son talent, qu’elle déployait aussi sur scène.

Née en 1965 à Genève, Laurence Boissier fait d’abord des études d’architecture d’intérieur, devient ensuite déléguée pour le CICR avant de s’inscrire à la Haute Ecole d’art et de design (HEAD). Diplômée en 2009, elle publie l’année suivante son premier texte, Projet de salon pour Madame B., chez art&fiction. Laurence Boissier deviendra une des plumes phares de ce vivier de créateurs où mots, graphisme, images se répondent. Dès 2011, longue silhouette, voix douce et mots qui font mouche, elle se produit sur scène avec Bern ist überall, un collectif d’écrivains et de musiciens qui fait sauter les langues par-dessus les frontières.

C’est Inventaire des lieux, en 2015 puis dans une version augmentée en 2017, qui retient l’attention des jurés du Prix suisse de littérature: une soixantaine de lieux, de la chambre d’hôtel au train mais aussi des figures de l’enfance (Super Jaimie, le Grand Schtroumpf) sont saisis en autant de proses poétiques qui capturent des attitudes, des souvenirs, des passions évanouies, tout ce qui fait une époque, un lieu, une vie.

En 2017 paraît aussi le premier roman de Laurence Boissier: Rentrée des classes. Un roman sur l’enfance et le deuil du père qui devient un best-seller en Suisse romande et qui est salué par le Prix Pittard de l’Andelyn et le Prix des lecteurs de la ville de Lausanne. Portrait d’une famille après la disparition brutale du père, à Genève, dans les années 1970, Rentrée des classes se place à hauteur d’enfant, au plus près des rituels qui permettent de revenir, lentement, à la vie. Laurence Boissier suit aussi la mère, devenue veuve, dans son retour au monde du travail. Le portrait de la vie de bureau avec en son centre un patron fanfaronnant mais incapable de la moindre action concrète sans l’aide de sa secrétaire, est savoureux et typique de sa façon de marier le rire aux larmes.

Histoire d’un soulèvement, en 2020, réunit plusieurs types d’écriture (roman d’aventures revisité, récit personnel, exploration sociologique, botanique) et plusieurs thématiques (la naissance des Alpes, l’identité suisse, le rôle du dépassement de soi dans la culture nationale, etc.) autour d’une ligne narrative à fort potentiel comique: se mettant elle-même en scène, Laurence Boissier accepte «à son corps défendant» de s’inscrire à une randonnée de neuf jours autour du Mont-Blanc et de «suer sang et eau» pour se confronter à ces sujets de recherche. Evidemment, les autres participants sont, eux, des sportifs aguerris. De l’infime temporalité humaine à l’immensité du temps géologique, Histoire d’un soulèvement offre un jeu de correspondances qui questionne la place de l’humain dans le micro et le macrocosme.

Nous aurions tant voulu continuer à suivre Laurence Boissier dans ses randonnées littéraires. Elle marche sans doute à travers ces prés en fleurs dont elle parlait si bien. A nous de prendre ses livres dans nos sacs à dos du quotidien, d’y retrouver son rire, par-delà les larmes.


L’esprit de Laurence Boissier ne s’éteindra pas

Boris Chaix, 24Heures

Elle était la finesse et la distinction mêmes. Née en 1965 dans une famille genevoise fort ancienne, Laurence Boissier est tombée malade puis s’est éteinte vendredi dernier à Genève, après avoir ajouté un prénom à la longue liste des Boissier illustres. C’est la littérature qui a fait connaître au public cette personnalité aux engagements professionnels fort variés.

Avant de devenir une femme de lettres de talent, elle a été fonctionnaire dans le domaine de l’énergie. À Genève, elle a étudié les lettres à l’Université puis s’est inscrite à la Haute École d’art et de design, d’où elle est sortie avec un bachelor «art/action». Sans oublier son temps passé comme déléguée du CICR, une étape dans la grande tradition familiale: son père, Pierre Boissier, fut collaborateur dès 1946 puis membre du CICR en 1973; son grand-oncle Léopold Boissier était président du CICR.

De son père, mort accidentellement à 53 ans (presque au même âge que sa fille) lors d’un exercice de la protection civile en 1974, Laurence a parlé sans le nommer, avec beaucoup de délicatesse, dans Rentrée des classes. Un roman paru en 2017 chez art&fiction à Lausanne et réédité en 2019, dans lequel le lecteur rencontre une petite Mathilde dont il devine qu’elle est le double de l’auteure. Chacune est devenue orpheline de père brutalement, alors qu’elle était jeune élève. Le jour de la rentrée, elle est l’objet de la pitié embarrassée de son entourage.

Quelle délicate évocation de l’univers affectif de cette enfant! Sans mièvrerie ni sentimentalisme, avec une exquise finesse d’observation, Laurence Boissier évoque la vie du trio familial restant: la mère, la fille, le fils, lancés dans la vie quotidienne, au rythme de petits tableaux clairement localisés à Genève.

Géographie de l’inattendu

Cette même année 2017, Laurence Boissier reçoit un Prix suisse de littérature pour son livre Inventaire des lieux, paru en 2015. Lors de la Fureur de lire, en novembre 2017, Julie Depardieu lit en public à Genève cet étrange atlas dans lequel se déploie une géographie de l’inattendu. La Genevoise y revisite des endroits si familiers qu’ils s’en trouvent souvent vidés de sens. Sous son regard décalé et plein d’humour, ils prennent une dimension inédite.

En 2018, le Prix Pittard de l’Andelyn et le Prix des lecteurs de la ville de Lausanne viennent s’ajouter au palmarès de Laurence Boissier pour Rentrée des classes. Depuis 2011, elle faisait partie du collectif d’auteurs et de musiciens romands et alémaniques Bern ist überall. L’écrivaine s’intéressait de près à une femme de sa famille qui était pianiste et compositrice: Caroline Boissier-Butini (1786-1836). Elle avait signé l’an dernier la postface de la biographie qu’Irène Minder-Jeanneret a consacrée à cette artiste exceptionnelle (Éd. Slatkine).

Son dernier livre, Histoire d’un soulèvement, paru chez art&fiction en 2020, confirme la forme d’esprit subtile et caustique de Laurence Boissier. Tous les randonneurs et alpinistes en herbe apprécient ce récit d’une marche en montagne à la fois triviale, drôle et pleine d’enseignements. L’esprit de l’auteure y brille. On l’y retrouvera pour toujours.

Le pré

hommages à Laurence Boissier